5 questions à Jérôme Verdier, président de la Fédération de la Tannerie

Les tanneries et mégisseries françaises ont connu, selon le Conseil National du Cuir (CNC), une chute de 12% de leurs exportations, à 295,9 millions d’euros en 2019. Là où les importations sont demeurées stables à 482,4 millions d’euros, l’Italie représentant le principal acteur de cette concurrence internationale.

 

Des voisins transalpins qui sont aussi les premiers clients de la France en la matière, mais dont les commandes se sont effondrées en 2019 de 21%, chiffre qui s’est accru depuis le début de la crise sanitaire. L’industrie française de la tannerie mégisserie est constituée à ce jour de 45 entreprises industrielles (et 10 négociants courtiers), contre 1300 dans les années 60. C’est au nom de ces entreprises semi-artisanales qui travaillent, produisent sur le territoire Français, et agissent aussi en faveur d’un luxe durable, que nous avons rencontré Jérôme Verdier, président de la fédération de la tannerie-mégisserie.

 

Quelles sont aujourd’hui les difficultés rencontrées par les tanneurs-mégissiers, ces professionnels qui opèrent en amont la filière française du cuir?

 

Tout d’abord, je tiens à préciser que la voix portée communément par les tanneurs-mégissiers français est celle d’un nombre très restreint d’artisans qui ont survécu à une délocalisation massive qui s’est opérée principalement entre 1970 et 2010. Et ces artisans exercent un savoir-faire rare pour lequel ils ont été dans l’obligation de totalement intégrer l’aspect réglementaire de l’écologie qui est très strict et contraignant sur notre territoire.

 

A l’heure actuelle, de nombreuses images en provenance des tanneries du Bangladesh ou du Pakistan circulent d’enfants aux jambes plongées jusqu’aux genoux dans des liquides chimiques toxiques pour tremper des peaux d’animaux dans d’énormes fûts remplis de liquides dangereux. Car il existe malheureusement un marché – celui de la fast fashion – qui propose d’acheter des chaussures au prix de 10 euros. Mais cet univers est éloigné de celui de nos artisans français qui intéressent particulièrement le monde du luxe. C’est pourquoi la tannerie-mégisserie française n’est pas du tout concernée par les accusations qui consistent à dire que le cuir n’est pas écologique ou aurait un impact négatif important sur l’environnement. Ce sont des raccourcis médiatiques. Et cela s’explique simplement par une méconnaissance de notre activité.

 

Quelles sont les principales contraintes en matière écologique auxquelles sont confrontés les tanneries-mégisseries françaises?

 

Il faut savoir que toutes les tanneries françaises ont l’obligation d’être classées pour la protection de l’environnement (ICPE), donc nous avons un certain nombre d’obligations concernant les rejets d’eau, de solvants, de nos déchets solides…

 

Par exemple, nos sites artisanaux et industriels, dit sites de savoir-faire, sont desservis par les stations d’épuration des grandes villes dans lesquelles elles sont implantées, et ce alors que les rejets atmosphériques et les rejets dans l’eau sont extrêmement contrôlés.

 

Si vous combinez les réglementations des Industries Classées pour la Protection de l’Environnement qui existent en France depuis les années 70, et n’ont cessé de se renforcer et de s’améliorer depuis, avec la sécurité au travail régie selon la législation française, vous obtenez un équilibre nécessaire à nos entreprises pour exercer de manière écologique et durable. En France, nos tanneries-mégisseries sont donc déjà très au fait de la protection de l’environnement et des hommes au travail.

 

Mais au-delà des obligations réglementaires de notre pays, certains labels internationaux ayant émergé comme LWG (Leather Working Group) par exemple, sont devenus très “tendance”. Ces labels vont certainement s’appliquer très efficacement aux fournisseurs de la fast fashion. A contrario, les tanneries ayant réussi à survivre en France étant déjà très encadrées, elles n’ont pas besoin de ce type de labels pour garantir leurs pratiques durables et écologiques.

 

Au delà des principes écologiques de la filière, quelles sont les autres priorités de la tannerie-mégisserie française?

 

Toutes les questions écologiques et durables sont centrales. Il y a quelques années, il fallait en effet prouver qu’on ne polluait pas pour survivre. Plus récemment, il a fallu travailler sur l’innocuité de nos produits, c’est à dire la formulation de ces derniers afin qu’ils ne soient plus du tout impactant pour la santé. De manière générale, la qualité des cuirs européens est exceptionnelle. Car il existe un cadre législatif appelé REACH, en vigueur depuis 2007, visant à « sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne », et ce, pour toute l’industrie chimique de la zone, y compris les tanneries. En cause: l’utilisation contrôlée des formaldéhydes, du plomb, de pigments… Cette innocuité aujourd’hui se traduit par la qualité des cuirs européens qui sont extrêmement demandés à l’export.

 

Après l’écologie, et plus récemment l’innocuité des produits, la traçabilité et l’origine des peaux, la bientraitance animale devient la priorité de l’ensemble de la filière française du cuir.

 

Quelles sont les dernières avancées de la filière en matière de traçabilité et de bientraitance animale?

 

Concernant la traçabilité par exemple, la France dispose d’outils exceptionnels, à commencer par le marquage au laser des peaux dès la sortie des abattoirs. Un marquage qui reste lisible après leur traitement chimique et mécanique. Et ce, bien que la mise en place des machines à rayon laser dans l’ensemble des abattoirs représente un investissement important et que les petits abattoirs ont parfois plus de difficultés à investir.

 

Demain, grâce aux recherches menées en France par le CTC (Conseil Technique du Cuir), la blockchain permettra donc de recenser une information sécurisée et complète quant à la provenance du cuir écoresponsable. Et par la traçabilité, on arrivera à s’assurer du bien-être animal.

 

Il faut aussi rappeler que toutes les peaux d’espèces classées en danger ou vulnérables par la CITES (Convention on international Trade in Endangered Species) sont obtenues en même temps qu’un certificat attestant de leur origine légale pour s’assurer que notre activité ne nuit pas aux espèces menacées.

 

En parallèle de votre mission à la tête de la filière française de la tannerie-mégisserie, vous dirigez vous-même la mégisserie Alran située à Mazamet dans le Tarn. Quelles sont ses valeurs?

 

Oui, je dirige une petite PME artisanale de 25 personnes, spécialiste de l’art du cuir de chèvres, veaux et buffles. Les valeurs que l’on véhicule sont celles d’artisans qui travaillent manuellement le cuir. Nous avons un rapport à la peau qui est celui de professionnels qui accordent une importante part d’humanité à leur travail. On a autant de philosophie et de respect des hommes que si on travaillait une matière très spéciale et noble. C’est très particulier.

 

 

RETROUVEZ CET INTERVIEW DANS LE NUMERO AUTOMNE-HIVER 2020-21 DE LUXUS+ MAGAZINE.

 

 

Photo à la Une : Jérôme Verdier © Presse

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