François-Henry Bennahmias, l’iconoclaste d’Audemars Piguet
Après onze années à la tête de l’horloger suisse Audemars Piguet, François-Henry Bennahmias s’apprête à céder les rênes à Iaria Resta – ex-Firmenich – en fin d’année. Entre 2012 – année de sa nomination en tant que pdg de la manufacture suisse – et aujourd’hui, il est parvenu à quadrupler le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Passionné de golf, le bientôt ex-pdg de Audemars Piguet, François-Henry Bennahmias, détonne dans le monde feutré et réputé particulièrement conservateur de la Haute Horlogerie.
Entré au sein de la manufacture Audemars Piguet en 1994, il est parvenu avec son franc parler, son audace, son goût pour la culture pop et ses méthodes de management à rendre le modèle Royal Oak hautement désirable mais surtout à inscrire la localité suisse du Brassus dans les esprits des professionnels du luxe.
Fondée en 1875, la manufacture produit environ 50 000 montres Oak par an essentiellement sous la marque Royal Oak dans ses ateliers installés notamment au Brassus. Une goutte d’eau comparé à Rolex, qui produit environ 1 million d’unités par an.
Audemars Piguet n’en est pas moins la quatrième marque horlogère suisse en termes de revenus. Le prix moyen d’une montre Audemars Piguet est d’environ 50 000 francs suisses.
Un transfuge du golf dans le luxe
S’il y a une chose pour laquelle tout le monde est d’accord, c’est que François-Henry Bennahmias ne fait rien comme tout le monde.
Qu’il s’agisse de nommer à sa succession, une femme – dans un univers masculin – qui plus est extérieure au monde de l’Horlogerie, de multiplier les collaborations avec des icones pop de son adolescence comme les Studio Marvel ou encore de proposer des programmes de mentorat inspirés de la saga Star wars.
Passer de 500 millions de francs suisses en 2012 à 2 milliards de francs suisses en 2022, tout en préservant la rareté et l’attractivité de la marque malgré un accroissement de la production est un exploit dont peu de chefs d’entreprises peuvent s’enorgueillir. Si ce n’est, donc, François-Henry Bennahmias.
Avant de révolutionner le monde de l’Horlogerie pendant 29 ans, l’actuel pdg est passé par le monde du sport de haut niveau – son dada – et la mode.
De 18 à 23 ans, il est golfeur professionnel mais de son propre aveu « ne gagne pas très bien sa vie » : 10 000 francs français par an.
Son destin bascule lorsqu’un ami l’oriente vers le luxe, secteur qu’il ne quittera plus après.
Il travaille ainsi pour des Maisons comme Giorgio Armani et Gianfranco Ferré.
En 1994, il franchit une nouvelle étape, en entrant chez Audemars Piguet, manufacture du Brassus, à l’époque composée de 200 collaborateurs (contre 2500 aujourd’hui).
Il gravit les échelons en moins de trois ans, passant de directeur de la marque à Singapour avant de gérer les marchés de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, de Suisse, de Brunei, d’Australie et de Malaisie. En 1999, il devient directeur général de la filiale américaine d’Audemars Piguet basée à New York.
En 2000, Audemars Piguet fait face à un changement de taille : la cession des 45% de parts de Jaeger Lecoultre à la Maison éponyme. Dès lors, l’entreprise doit trouver de nouvelles sources de revenus.
En 2012, François-Henri Bennahmias est nommé PDG monde de Audemars Piguet.
Le patron disrupteur du Brassus
Sous sa direction, Audemars Piguet change de cap et devient un détaillant de premier ordre sur le marché de la Haute Horlogerie.
Comme il le confie à Luxury Tribune en août 2022, le vrai changement stratégique d’Audemars Piguet de ces dix dernières années est d’être passé de distributeur à détaillant.
Le dirigeant rappelle ainsi qu’auparavant la marque vendait «une fois 400 montres» à un détaillant, alors qu’aujourd’hui elle vend «400 fois une montre».
L’entreprise devient ainsi résolument BtoC et rationalise du même coup le nombre de ses points de vente.
La disponibilité produit en boutique est accrue tout en gérant un savant effet de rareté. La marque passe d’environ 15 000 pièces en 1994 à 45 000 en 2021.
Le réseau wholesale de la marque est aussi réduit de 75% en moins de dix ans, passant de 470 détaillants à 120 en 2021. De quoi accroître mécaniquement le trafic en magasin.
Parallèlement, la marque investit fortement dans la recherche et développement, la formation des collaborateurs et le recrutement de profils tech.
François Henry Bennahmias en est intimement convaincu, investir dans l’innovation reste la condition sine qua none pour soutenir la croissance d’une telle entreprise et accroître ses capacités de production.
Il introduit une nouvelle famille de calibres totalement conçus et fabriqués en interne : le Code 11:59. Les faibles quantités de cette dernière, permettent à la marque de lancer 3 nouveaux calibres – soit six nouvelles références de montres – de manière contrôlée. Depuis, les calibres son alors communs aux deux familles de produits.
La Maison revoit également la robustesse de ses montres avec une conception capable de résister à l’usure du temps. Et pas question de produits massifs, Audemars Piguet s’engage à proposer des modèles résolument minces et mêmes incurvés.
Proche des jeunes générations et de ses collaborateurs, il met en place un programme de mentorat interne permettant à neuf jeunes recrues d’être coachées par certains membres du comité de direction. Et le pdg s’occupe personnellement de quatre de ces “padawans” (les apprentis jedi de Star Wars) selon ses termes.
Avec eux, Audemars Piguet reste alerte sur les tendances émergentes. En retour, François Henry Bennahmias n’hésite pas à leur proposer de l’accompagner dans ses réunions professionnelles et ceci, afin de les former et de les familiariser avec le management.
Visionnaire, dès 2017, il est l’un des premiers à croire à la primauté de l’expérience sur l’achat de produits horlogers. Il développe alors le concept des AP Salon, des espaces conviviaux reprenant les codes de l’hôtellerie. Le brief est alors tout simple : “à quoi ressemblerait l’entreprise si Louis Audemars et Edward Auguste Piguet avaient 25 ans aujourd’hui”. Ce ne sont plus des acheteurs potentiels que la Maison accueille mais des invités désireux de boire un verre ou de simplement rencontrer d’autres passionnés.
Ces espaces libérés de toute pression commerciale, a priori contre-intuitifs, permettent de multiplier par trois le temps passé sur place et de nouer une relation plus proche avec le client final.
Autre grand chantier : François-Henry Bennahmias fait place nette dans les collections. Il supprime progressivement les collections Millenary et Jules Audemars, qui n’ont pas eu le succès escompté.
Le faiseur de Royal Oak
Comprenant qu’il a entre les mains une véritable icône horlogère très largement sous-exploitée et mésestimée, il décide de se concentrer quasi-exclusivement sur la gamme Royal Oak. A cette fin, il réanime le concept marketing fondateur de ce modèle lancé en 1972. Suivant le slogan “une montre en acier plus chère que l’or”, il décide d’opérer une montée en gamme, tant en matière de prix que de qualité.
Pour renforcer la légimité de la Maison Audemars Piguet, il fait installer au siège du Brassus un musée consacré à l’épopée de l’entreprise.
Avec lui, la communication de la Maison horlogère se fait plus pointue et plus claire sur les valeurs de l’entreprise liées à l’un des berceaux de l’horlogerie, la Vallée de Joux et sa tradition de Haute Horlogerie. La campagne de 2021, ”De l’iconoclaste à l’icône“ résume le chemin parcouru depuis 1972 et le lancement de la Royal Oak.
Enfin, le Pdg décide de s’ouvrir à des univers parallèles au monde de l’Horlogerie et en la matière, il n’a pas peur des extrêmes.
En pionnier, il ose ainsi une collaboration avec les studios Marvel. Le succès commercial et le buzz généré coupent court aux critiques : la première pièce APx Marvel a été vendue aux enchères pour 5,2 millions de dollars dans le cadre d’une vente caritative, tandis que les 250 pièces de l’édition limitée dont le prix avait été fixé à 165 000 dollars ont été vendues rapidement.
Un avenir tout tracé ?
Son départ prévu pour la fin de l’année devrait se solder par un nouveau record de production, fixé à 53 000 montres.
Si certains voient déjà François-Henry Bennahmias rejoindre un des mastodontes du luxe, comme Lvmh ou Chanel, l’homme préférerait renouer professionnellement avec sa passion du sport.
Dans son interview exclusive pour Luxury Tribune, celui qui se fait appeler en interne François ne cache pas sa volonté de “manager et coacher des artistes ou des athlètes”. Et d’ajouter “Imaginer de nouvelles solutions, améliorer les performances en croisant différents univers ou industries qui n’ont a priori rien en commun est une dynamique de pensée qui me correspond.”
Lors de cet entretien, il avait évoqué le lien très fort qui unissait le biathlète français multi médaillés Quentin Fillon Maillet à la Maison Audemars Piguet. “La culture de la victoire est un processus qui me plaît, car il est en rapport direct avec l’humain” a-t-il déclaré.
Quant à l’avenir de Audemars Piguet, François reste confiant, déclarant qu’une quinzaine de calibres sont actuellement en développement d’ici 2030 ainsi que plusieurs nouvelles matières.
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Photo à la Une : © Audemars Piguet
[EN] VICTOR GOSSELIN IS A JOURNALIST SPECIALIZING IN LUXURY, HR, WEB3 AND RETAIL. HE PREVIOUSLY WORKED FOR MEDIA SUCH AS SPARKS IN THE EYES, WELCOME TO THE JUNGLE, LE JOURNAL DU LUXE AND TIME TO DISRUPT. A GRADUATE OF EIML PARIS, VICTOR HAS EXPERIENCED MORE THAN 7 YEARS IN THE LUXURY SECTOR BOTH IN RETAIL AND EDITORIAL. CULTIVATING A GREAT SENSIBILITY FOR THE FASHION & ACCESSORIES SEGMENT, HERITAGE TREASURES AND LONG FORMAT, HE LIKES TO ANALYZE LUXURY BRANDS AND PRODUCTS FROM AN ECONOMIC, SOCIOLOGICAL AND CULTURAL ANGLE TO UNFOLD NEW CONSUMPTION BEHAVIORS. BESIDES HIS JOURNALISTIC ACTIVITY, VICTOR ACCOMPANIES TECH STARTUPS AND LARGE GROUPS IN THEIR CONTENT PRODUCTION AND EDITORIAL STRATEGY. HE NOTABLY LAID THE FOUNDATIONS FOR FASHION & LUXURY TRENDY FEATURE ARTICLES AT HEURITECH AND WROTE THE TECH SPEECHES OF LIVI, INNOVATION INSIDER OF THE LVMH GROUP.************** [FR] Victor Gosselin est journaliste spécialiste des univers luxe, RH, tech et retail, passé par Sparks In The Eyes, Welcome To The Jungle, le Journal du luxe et Time To Disrupt. Diplômé de l’EIML Paris, il dispose de plus de 7 ans d’expérience dans le secteur du luxe aussi bien sur la partie retail que éditoriale. Cultivant une grande sensibilité pour le segment mode & accessoires, l’Asie, les trésors du patrimoine et le long format, il aime analyser les marques et produits de luxe sous l’angle économique, sociologique et culturel pour révéler de nouveaux comportements de consommation. En parallèle de son activité journalistique, Victor accompagne les startups tech et grands groupes dans leur production de contenu et leur stratégie éditoriale. Il a ainsi posé les bases des articles de fond tendanciels Mode & Luxe chez Heuritech ou encore rédigé les prises de parole tech de Livi, Innovation Insider du groupe LVMH.