La revanche de l’IA : comment Elon Musk veut détrôner Microsoft et Open AI
Après avoir feint une relative “pause”, l’homme le plus riche du monde et autoproclamé “absolutiste” de la liberté d’expression, s’engage dans la bataille pour la conquête du marché de l’intelligence artificielle. La rockstar de la tech n’entend pas laisser le champ libre à son rival Microsoft, grand soutien de Open AI qui, fort de ChatGPT et Midjourney, s’est taillé en à peine un an la part du lion sur ce marché en pleine expansion.
Avec verbe et fracas, Elon Musk se rebelle contre le statu quo du système IA. Un quasi monopole détenu par Open AI, que l’entrepreneur canadien a un temps financé mais qui lui a échappé quelques années seulement avant la reconnaissance médiatique de l’entreprise.
Pour l’emporter, Musk compte sur une tactique consistant à créer des annonces nimbées de flou artistique ou de présenter des nouveautés sans prototype avéré…et ça marche, l’audience étant comme soufflée par les avancées réalisées en l’espace de deux conférences.
Entre novembre et décembre, le multimillionnaire, patron de Tesla et Neuralink mais aussi fondateur de SpaceX a ainsi dévoilé pas moins de deux projets d’envergure : Grok, son intelligence artificielle générative propriétaire et Optimus Gen 2, son robot humanoïde.
De quoi prouver que question compétition, Elon Musk veut la part du lion, convoitant bien plus que le seul marché de l’intelligence artificielle générative.
L’occasion manquée Open AI
Tel Frankenstein avec sa créature, avant de partir en guerre contre le centre de recherche Open AI, Elon Musk a contribué à sa fulgurante ascension.
En effet, le sulfureux homme d’affaires a figuré, aux côtés de l’emblématique Sam Altman, parmi les cofondateurs de ce projet qui vise à “faire avancer l’intelligence numérique de la manière qui serait la plus profitable à l’humanité, sans que ces recherches soient dictées par le besoin d’un retour sur investissement”…
En 2015, Elon Musk avait ainsi financé ce qui se présentait à l’époque comme un collectif à but non lucratif consacré aux enjeux éthiques de l’intelligence artificielle. Ce projet avait été développé en réaction à son “ami” Larry Page de chez Google. Il avait confié sa volonté de rapprochement avec DeepMind, un autre acteur IA de premier plan. Or, ce dernier lui en avait ravi en 2013 la propriété.
Un mois plus tard, en janvier 2014, Elon Musk déclare ainsi “le futur de l’IA ne peut pas être contrôlé par Larry.”
Mais trois ans après la fondation d’Open AI, rien ne va plus : Elon Musk suggère une fusion avec son entreprise Tesla, les équipes de Sam Altman refusent. Ce dernier prend la présidence du laboratoire, créant une branche à but lucratif en mesure de lever des fonds, y compris un investissement majeur de Microsoft.
Un accord portant sur une licence exclusive entre ce dernier et Microsoft sur le développement de GPT-3, provoque l’ire d’Elon Musk.
Préférant écarter “tout potentiel risque de conflit d’intérêt” avec ses autres sociétés – susceptibles de recourir à l’intelligence artificielle- Elon Musk claque finalement la porte du conseil d’administration d’Open AI. L’entreprise venait alors de lever 1 milliard de dollars (810 millions d’euros) notamment auprès de Peter Thiel, cofondateur de Paypal et Amazon Web Service.
Animé de la volonté contradictoire de soutenir financièrement le projet, le serial entrepreneur avait déclaré dans un tweet de septembre 2020 : “Cela semble être le contraire de l’ouverture. OpenAI est essentiellement capté par Microsoft”.
Grok, le mouton noir face à ChatGPT
Brandissant la carte d’une intelligence artificielle érigée en “pire menace existentielle”, il avait alors demandé une pause propice à la réflexion, ce fameux questionnement éthique qui avait présidé à la création d’Open AI. Depuis, Open AI a développé Chat GPT et Dall-E, des générateurs de textes, d’images et de codes informatiques réalisés à partir d’une requête en langage naturel.
Entre-temps, Meta, et Google se sont aussi engouffrés dans la brèche respectivement avec Imagine et Bard.
Parallèlement, le rachat de Twitter par Elon Musk et sa refonte en X semble être un fiasco. Aux annonceurs désireux de quitter précipitamment le réseau social, Elon Musk leur déclare élégamment “d’aller se faire foutre” (Go fuck yourself). En ce mois de janvier, X ne vaudrait plus que 12,5 millards de dollars, soit une perte de 71,5% de sa valeur depuis octobre 2022, selon les données du fonds d’investissement Fidelity.
Si l’homme se permet un langage outrancier, c’est parce qu’il a une autre carte dans sa manche, en l’occurrence Grok. Cette intelligence artificielle générative propriétaire est réservée aux abonnés premium de son réseau social dont les revenus publicitaires ont fondu comme neige au soleil.
Son nom provient d’un néologisme de Robert A. Heinlein pour son roman de science-fiction de 1961 En Terre étrangère et que l’on retrouve dans le roman satirique intergalactique de Douglas Adams, le guide du voyageur intergalactique (1979).
L’Oxford English Dictionnary le désigne comme le fait de « comprendre intuitivement ou par empathie, établir un rapport avec » et « faire preuve d’empathie ou communiquer avec sympathie (avec) ; aussi, éprouver du plaisir ».
Grok est “conçu pour répondre aux questions avec un peu d’esprit et un côté rebelle. Et Elon Musk d’ajouter “ne ‘l’utilisez pas si vous détestez l’humour.”
Cette IA générative est également censée répondre à “des questions épicées qui sont rejetées par la plupart des autres systèmes d’IA”.
Pour distancer ses concurrents avec son entreprise X.AI fondée au printemps, le fantasque entrepreneur souhaite lever 1 milliard de dollars (925 millions d’euros) comme l’indique un document transmis à la Security Exchange Commission, l’autorité de régulation du marché américain. L’homme d’affaires aurait déjà levé 135 millions de dollars auprès de quatre investisseurs privés.
Pendant ce temps Open AI a obtenu un engagement à hauteur de 13 milliards de dollars de la part de Microsoft. Or, ce tour de table est survenu alors qu’Open AI a fait face à un épisode chaotique ayant entraîné le limogeage puis la réhabilitation expresse de Sam Altman. Cette mésaventure a surtout retardé une vente d’actions qui aurait permis de valoriser l’ex bébé de Elon Musk entre 80 et 90 milliards de dollars.
Pour sa part, Elon Musk compte bien faire la différence sur un point : la possibilité de pratiquer un forage de données “en temps réel” bien plus efficace que chez ses concurrents, la technologie étant directement intégrée à son réseau social X.
X ne demeure pas moins particulièrement exposé avec le lancement de Thread par Meta qui risque de rendre son réseau social rapidement obsolète.
Optimus, futur best seller de Tesla ?
Grok n’est pas, loin s’en faut, l’unique annonce de Elon Musk quant au futur de l’IA.
En août dernier, le magnat de l’automobile électrique conviait la presse à la présentation de son dernier dada : la robotique. Sur scène, un acteur était déguisé en robot, tandis qu’un modèle Bumble était présenté à la Conférence annuelle Tesla AI Day. Ce dernier robot avait d’ailleurs tendance à tituber comme pour un lendemain de soirée, de quoi susciter moqueries et interrogations au sein de la presse.
Mi-décembre, Elon Musk surprend son monde avec un robot humanoïde qui n’a plus rien à voir avec le squelette chétif à l’électronique apparente et la démarche hésitante. Ce modèle Optimus vient de passer à la deuxième génération, totalement armuré.
Sorte de Marvin – le robot paranoïaque de H2G2, le guide du voyageur galactique – en plus longiligne et sous stéroïde, Optimus Gen 2 a comme son prédécesseur été conçu pour “faire tout ce que les humains ne veulent plus faire”.
Lancé en 2023, cet Optimus est parvenu à rattraper le modèle Atlas de Boston Dynamics, lancé il y a onze ans !
“Notre objectif est d’en faire un robot humanoïde utile le plus vite possible et nous l’avons conçu avec la même méthode que nous utilisons pour les voiture. Ce qui veut dire que nous l’avons conçu pour une production industrielle, de sorte que ce soit possible de fabriquer des robots en grande quantité à bas coût avec une grande responsabilité” a déclaré le multimilliardaire.
Ce dernier poursuit le rêve de produire un jour un robot qui sera moins cher qu’une voiture. D’ailleurs, il ne s’en cache pas, à terme, cette activité devrait surpasser ses automobiles en termes de chiffre d’affaires. Pour l’heure son coût unitaire est estimé à 20 000 dollars, soit celui d’une petite voiture.
Aussi démentiel que cela puisse paraître, Elon Musk espère produire entre 10 et 20 milliards d’unités, soit quasiment trois robots par humain.
Reste encore des progrès à réaliser car comme le concède le fantasque chef d’entreprise, il manque au robot un cerveau, au point qu’il ne peut pas encore se promener en toute autonomie. Son prix reste aussi relativement élevé et sa production trop limitée pour le moment pour espérer une démocratisation massive.
S’il est trop tôt pour crier au grand remplacement, la grande transformation des métiers avec l’intelligence artificielle est déjà en marche.
En revanche, il est clair que cette déferlante IA ne sera pas sans conséquence pour le marché de l’emploi.
Selon les chiffres évoqués en mars dernier par la banque d’affaires Goldman Sachs, cette course à la suroptimisation du temps et des coûts par l’intelligence artificielle devrait entraîner la suppression de 300 millions d’emplois à court terme. Un quart du travail pourrait ainsi être automatisé. Un chiffre qui occulte toutefois une autre réalité : une compétitivité renforcée avec 7% de PIB gagné chaque année.
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Photo à la Une : © Le Décodeur
Hugues Reydellet est un jeune journaliste passionné, dont les sujets de prédilection sont l'économie, la culture, la gastronomie, mais aussi l'automobile et le sport. Avec une plume acérée et une curiosité insatiable, Hugues est constamment à la recherche de nouvelles informations brûlantes à rapporter.