Dracula : aux sources du mal avec son auteur, Bram Stoker
Livre le plus vendu au début du XXe siècle, juste derrière…la Bible, le roman horrifique Dracula, publié en 1897, dépeint le célèbre vampire suceur de sang ainsi qu’une contrée jusqu’ici inexplorée et méconnue en Angleterre, la Transylvanie. Pourtant, son auteur irlandais, Bram Stoker, n’a jamais mis les pieds dans cette région des Carpates et est resté dans son Dublin natal, une région qui n’a pas à rougir de ses légendes folkloriques.
Il craint les premières lueurs du jour tout comme l’ail, les pieux en bois et l’eau bénite, se repaît de sang frais de pauvres victimes humaines ou animales et n’a ni reflet ni ombre. Cette figure du vampire, ce “non-mort” capable de se métamorphoser à tout moment en chauve-souris est passée à la postérité à travers le roman Dracula de Bram Stoker.
Oeuvre majeure du roman gothique, Dracula est paru en pleine apogée de la révolution industrielle anglaise et de l’Empire britannique, proposant une vision en clair-obscur du progrès et des sciences.
De nombreux éléments saisissants de réalisme pour décrire les us et coutumes de la Transylvanie, proviennent en fait des souvenirs d’enfance de l’auteur, d’histoires folkloriques terrifiantes écoutées au coin du feu et de recueils aussi volumineux que poussiéreux trouvés dans la bibliothèque de Dublin.
Autant de lieux et de récits où le macabre s’inscrit dans le quotidien, pourtant bien loin de la Roumanie natale du comte Dracula.
Stoker, un mort-vivant qui se croyait condamné
Si Bram Stoker a eu l’idée d’une créature atteinte de porphyrie – une maladie du sang – et fuyant comme la peste le soleil, pour bâtir son mythe du vampire, il s’est d’abord inspiré de sa propre santé fragile.
Abraham Stoker – de son diminutif Bram – eu la chance de voir le jour à Marino Crescent, quartier cossu, alors en périphérie de Dublin. Et ce à une époque – 1847 – où la famine ravageait les quartiers déshérités de la ville.
Mais le futur père de Dracula fut malgré tout contraint de passer les premières années de sa vie cloué au lit, rongé par un mal mystérieux.
Alors qu’il est alité, sa mère lui conte les histoires terribles de l’épidémie de choléra qui a décimé l’Irlande quarante ans plus tôt. Des histoires peuplées de cadavres “comme vidés de leur sang”.
A l’âge de 13 ans, il guérit miraculeusement et peut mettre à profit son goût pour le théâtre et l’étrange. Il lui arrive alors de se promener le long de la jetée de cette ville qui l’a vu naître, quand ce n’est pas dans le cimetière des suicidés près de l’église St John The Baptist dans le quartier de Clontarf, où il a été baptisé.
Dans ce lieu sinistre, il fait la découverte de tombes non bénites, occupées par des défunts considérés par l’église comme des “âmes maudites et errantes”.
A 16 ans, il intègre le prestigieux Trinity College et se lie d’amitié avec Oscar Wilde. L’établissement compte parmi ses anciens élèves un certain Sheridan Le Fanu, auteur du roman Carmilla (1872), roman vampirique lesbien qui nourrira son inspiration pour créer ses personnages féminins.
Dublin ou les Carpates à portée de main
La capitale irlandaise a donné naissance à de nombreux écrivains de légende, de James Joyce à Jonathan Swift en passant par William Butler.
Il faut donc y ajouter le père de Dracula, Bram Stoker, avec son récit empli de ruines gothiques, de massifs montagneux rocheux et de sombres et luxuriantes forêts.
C’est un dénommé Arminius Vambery, géographe hongrois qui l’aurait mis sur la voie de la Roumanie pour en faire une des étapes de l’intrigue de son Dracula.
Le héros de son roman, Jonathan Harker, clerc de notaire londonien, est chargé de remettre les titres de propriété de l’abbaye de Carfax, située en périphérie de Londres, au mystérieux comte Dracula, dont la résidence valaque est nichée dans les montagnes impénétrables des Carpates.
Pour le titre de l’ouvrage qui aurait très bien plus s’appeler “le mort-vivant” ou le “non-mort”, la rencontre de Bram Stoker avec Arminius Vambery s’avère décisive. Les deux hommes font connaissance en 1890, alors que Bram Stoker est administrateur du Lyceum Theatre de Londres. Un lieu où le Club de la Compagnie des Beefsteaks, composé de gens férus d’histoires étranges et de bizarre, a pour habitude de tenir salon.
Dracul est l’un des surnoms d’un prince valaque sanguinaire du XVe siècle, le voïvode Vlad III, signifiant en valaque “diable” ou “dragon”. Les habitants de Valachie avaient pour habitude d’apposer le nom de famille Dracul à toute personne s’étant illustré héroiquement, cruellement ou par ruse au combat.
Le royaume de Valachie subissait alors les incursions répétées des turcs ottomans, que Vlad III a farouchement combattu tout au long de son règne. Ce souverain du moyen-age applique le supplice du pal (un pieu passé à travers le corps) à ses ennemis, une pratique qui lui a valu le deuxième surnom de Tepes, autrement dit « l’empaleur ».
Abhartach a également servi de modèle. On raconte que ce chef de clan irlandais tué dans une bataille au VIe siècle serait apparu le lendemain de sa mort, exigeant de boire le sang de malheureux paysans pour se régénérer. La scène se serait déroulé à Dùn Dreach-Fhoula, le “chateau du visage de sang”. D’ailleurs, le mot gaélique se prononce Droc’ola, autrement dit très proche de la sonorité de Dracula.
Pour planter le décor du sinistre château gothique de son comte Dracula, Bram Stoker n’a pas eu besoin de faire le même périple transylvanien que son héros, l’emmenant en calèche de Cluj-Napoca au col de Trihita, en passant par la petite bourgade de Bistrita et le col de Bargau.
Le château de Dublin où son père est employé administratif et le château de Slains, près d’Aberdeen suffiront.
L’auteur s’inspire également du roman le Château des Carpates de Jules Vernes, publié en 1892, soit cinq ans avant Dracula,
Et sur cette Transylvanie, littéralement pays “au-delà les forêts”, Bram Stoker a pu trouver de précieuses informations sur les coutumes et la géographie locale au sein de la Marsh’s Library, bibliothèque de Dublin.
Une bibliothèque que l’on retrouve dans la description du château du Comte Dracula, l’éminent vampire nourrissant une curiosité sans borne pour de nombreux sujets comme l’histoire-géographie, la botanique, la géologie et le droit.
Dans cette Marsh’s Library où le temps semble s’être arrêté au XVIIe siècle, Bram Stoker trouve toute la matière nécessaire au contenu scientifique, géographique et culturel de son roman, en particulier des ouvrages d’anatomie et les cartes de la région des Carpates.
Autre découverte saisissante, attestée seulement récemment, la bibliothèque aurait hébergé une authentique momie à l’époque de Bram Stoker.
Stoker a également été nourri des récits de naufrages de marins au large de Whitby. Une histoire l’a particulièrement marqué, celle du Dmitri, un cargo russe en provenance de Varna dont les cales étaient lestées de sable.
De cette histoire, Bram Stoker, en tirera le Déméter, un bateau transportant du terreau sur lequel le comte Dracula entame sa traversée, semant la mort une fois débarqué. Un sort funeste provenant du large, comme le Grand Saint Antoine, qui en mai 1725, avait répandu l’épidémie de peste à Marseille.
Un autre récit voit un autre navire, Mary & Agnes débarquer un chien. Il n’en faut pas plus pour que Bram Stoker imagine un Dracula polymorphe capable de se changer en canidé. Cette transformation s’inspire de la légende du Barghest, dans le Yorkshire. Cette créature en forme de chien géant annonce douleurs, désastre et mort, faisant hurler à la ronde tous ses homologues en version normale.
Dracula ou l’Angleterre victorienne entre ombres et lumières
Avant d’incarner dans l’inconscient collectif la figure du vampire, présente dans les films et séries, Dracula a d’abord été – bien que tardivement – un succès de librairie.
A sa sortie, Oscar Wilde, son ami de toujours aurait crié au “plus grand roman du XXe siècle”.
Paru en 1897, le roman – que Bram Stoker a mis sept longues années à écrire, en partie au pub – ne connaît véritablement le succès qu’à sa mort en 1912.
Par ses thèmes, le roman gothique d’horreur Dracula, dépeint une Angleterre victorienne en prise avec un progrès technologique et une révolution industrielle défigurant villes et campagnes et sapant les repères historiques.
L’obscurité recule au sens propre – avec la fée électricité dans les villes – comme au figuré.
A cette époque de positivisme triomphant, plus de place pour les superstitions, croyances des fonds des âges et rêves, seuls comptent la science et le progrès.
Dans le roman, le professeur Van Helsing – calqué sur son contemporain de géographe Arminius Vambery – s’inscrit ainsi comme le négatif de Dracula : le savant contre le lettré, le démocrate contre le noble, le moderne contre l’ancien, la raison contre la superstition.
A l’inverse, dans cette contrée reculée, rurale et montagneuse qu’on appelle la Transylvanie, les grandes découvertes de la Renaissance n’avaient toujours pas percé au XVIIe siècle.
Ce pays pauvre et difficile d’accès, imprégné de superstitions ancestrales, était tout trouvé pour devenir le fief de cette créature de la nuit.
Dracula est également un édifiant roman à tiroirs où il n’existe nulle trajectoire directe. Lettres, articles de presse et surtout extraits des journaux intimes des différents protagonistes (Johnathan Harker, sa fiancée et victime du vampire, Mina et le père de cette dernière, directeur de l’asile psychatrique contigue de la propriété londonienne du comte) servent autant l’intrigue et le suspens qu’à persuader le lecteur de la véracité des faits.
Par ailleurs, le roman s’inscrit dans la pure tradition nationaliste du roman dit d’invasion comme H.G. Wells et sa Guerre des mondes (1898). Après tout, il y est question d’un noble slave gagnant l’Angleterre pour y semer la terreur.
Mais le succès de Dracula est aussi dû en grande partie à sa couverture d’un jaune vif, couleur à l’époque réservé aux livres érotiques.
La mesure avait été imposée par l’éditeur de Stocker en raison d’une scène d’amour entre Lucy et le vampire et sera conservée jusqu’aux sept premières rééditions.
La morale victorienne s’accommodent mal de toute image sulfureuse, surtout depuis que Jack l’éventreur rôde dans le quartier déshérité de Whitechapel à Londres.
Dracula est ainsi le fruit des peurs et des fantasmes de l’Angleterre victorienne. Une époque où la haute société fuyait les rayons du soleil, arborant un teint blafard, décrit chez le comte Dracula comme “mortellement pâle, semblable à une image de cire”.
Bram Stoker, meurt à Londres, le 20 avril 1912, sa mort sera occultée par le naufrage du Titanic dans la nuit du 14 au 15 avril.
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Photo à la Une : Clement Falize/Unsplash
[EN] VICTOR GOSSELIN IS A JOURNALIST SPECIALIZING IN LUXURY, HR, WEB3 AND RETAIL. HE PREVIOUSLY WORKED FOR MEDIA SUCH AS SPARKS IN THE EYES, WELCOME TO THE JUNGLE, LE JOURNAL DU LUXE AND TIME TO DISRUPT. A GRADUATE OF EIML PARIS, VICTOR HAS EXPERIENCED MORE THAN 7 YEARS IN THE LUXURY SECTOR BOTH IN RETAIL AND EDITORIAL. CULTIVATING A GREAT SENSIBILITY FOR THE FASHION & ACCESSORIES SEGMENT, HERITAGE TREASURES AND LONG FORMAT, HE LIKES TO ANALYZE LUXURY BRANDS AND PRODUCTS FROM AN ECONOMIC, SOCIOLOGICAL AND CULTURAL ANGLE TO UNFOLD NEW CONSUMPTION BEHAVIORS. BESIDES HIS JOURNALISTIC ACTIVITY, VICTOR ACCOMPANIES TECH STARTUPS AND LARGE GROUPS IN THEIR CONTENT PRODUCTION AND EDITORIAL STRATEGY. HE NOTABLY LAID THE FOUNDATIONS FOR FASHION & LUXURY TRENDY FEATURE ARTICLES AT HEURITECH AND WROTE THE TECH SPEECHES OF LIVI, INNOVATION INSIDER OF THE LVMH GROUP.************** [FR] Victor Gosselin est journaliste spécialiste des univers luxe, RH, tech et retail, passé par Sparks In The Eyes, Welcome To The Jungle, le Journal du luxe et Time To Disrupt. Diplômé de l’EIML Paris, il dispose de plus de 7 ans d’expérience dans le secteur du luxe aussi bien sur la partie retail que éditoriale. Cultivant une grande sensibilité pour le segment mode & accessoires, l’Asie, les trésors du patrimoine et le long format, il aime analyser les marques et produits de luxe sous l’angle économique, sociologique et culturel pour révéler de nouveaux comportements de consommation. En parallèle de son activité journalistique, Victor accompagne les startups tech et grands groupes dans leur production de contenu et leur stratégie éditoriale. Il a ainsi posé les bases des articles de fond tendanciels Mode & Luxe chez Heuritech ou encore rédigé les prises de parole tech de Livi, Innovation Insider du groupe LVMH.