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Petite Histoire du luxe : le Grand Magasin ou la première destination d’achats sous le même toit

Petite Histoire du luxe : le Grand Magasin ou la première destination d’achats sous le même toit

“Cathédrale du commerce” née à Paris sous le Second Empire, le grand magasin a été tout à la fois le symbole d’une société de consommation triomphante et un acteur de l’évolution de la condition féminine. Malgré le krach boursier de 1929, la concurrence des hypermarchés et de l’e-commerce, le modèle a su se réinventer, restant, de la Ville Lumière à Doha, de Londres à Tokyo et de Milan à New York, une destination shopping à part entière.

 

Ils ont pour nom Le Printemps, les Galeries Lafayette, Harrods, La Rinascente, El Corte Inglés, De Bijenkorf, KaDeWe, ou encore Takashimaya, Macy’s, et Neiman Marcus. Si les noms, les empreintes culturelles et les marques distribuées diffèrent, tous ces grands magasins doivent beaucoup à un certain Aristide Boucicaut, fondateur en 1852 du tout premier de ces temples de la consommation : Le Bon Marché.

 

Deux expositions parisiennes reviennent sur les origines de ces lieux caractérisés par leur gigantisme, de leur architecture à leur offre de produits et services, en passant par leur flux de visiteurs journaliers.

 

Une première se tient au Musée des Arts Décoratifs (MAD) du 10 avril au 13 octobre 2024. Et une seconde aura lieu du 6 novembre au 6 avril 2025 à la Cité de l’architecture.

 

Au bonheur des dames

 

Notre histoire commence dans la Ville Lumière, à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du bac. C’est là qu’Aristide Boucicaut, normand, fils de chapelier et monté à Paris pour être calicot (vendeur de nouveautés, équivalent masculin des midinettes, ndlr), va avoir une idée qui changera à jamais la face de l’expérience d’achat au milieu du XIXème siècle.

 

Il est ainsi le premier à reproduire à plus grande échelle les magasins de nouveautés, lieux qu’il connaît bien pour y avoir travaillé.  Ces articles textiles (à savoir, des châles, chapeaux, gants, bas, rubans, dentelles…) qui donnent leur nom à ce type de commerce composeront d’ailleurs l’offre initiale de son établissement “Au Bon Marché”. Cette offre abondante va ensuite s’étendre jusqu’à proposer des tapis, articles de voyage, parfumerie, papeterie, jouets… et des vêtements de confection.

 

Agrandi et inauguré en 1872, ce magasin XXL se prête à la flânerie avec ses larges allées et ses espaces décloisonnés. On y trouve déjà les éléments qui feront référence partout en France et dans le monde : de multiples rayons thématiques et étages, une structure métallique rivetée apparente, un espace central desservi par un escalier monumental (remplacé plus tard par des escalators), des toits surmontés de coupoles et d’immenses vitrines.

 

Avec sa femme Marguerite, Aristide Boucicaut pose les bases d’un nouveau commerce reposant sur une accélération de la rotation des stocks et donc des capitaux. Ils ont l’idée de réduire leur marge bénéficiaire (15 à 20% contre 30 à 40% dans le commerce traditionnel) pour offrir à une bourgeoisie en plein essor des produits de qualité ou de demi-luxe, qui étaient jusqu’alors l’apanage des grandes fortunes. Pour ce faire, ils négocient directement des prix spéciaux avec leur fournisseurs en région.

 

Outre des prix plus accessibles qu’ailleurs, ils proposent une entrée libre et sans obligation d’achat ainsi qu’un prix fixe, loin du marchandage – souvent interminable – alors en vigueur.

 

Pour stimuler les ventes et créer la tentation chez une clientèle à l’époque composée à 80% de femmes, il s’appuie sur l’étalage, une discipline nouvelle qui donnera plus tard naissance au Visual Merchandising aux États-Unis. Dès lors, le produit n’est plus dissimulé mais présenté en majesté, les spécificités architecturales du bâtiment servant de présentoirs.

 

C’est une nouvelle sensorialité qui s’offre à la clientèle, qui peut librement les toucher et les essayer tandis qu’il est possible d’obtenir une simple auprès des vendeurs.

 

Enfin, si une nuée de clients accoure dans ce qui apparaît comme une ruche, c’est bien pour participer aux multiples évènements promotionnels qu’instaure le couple Boucicaut. Les époux sont notamment à l’origine “mois du blanc” dédié au linge de maison (en janvier) afin de stimuler les ventes dans une période post-fêtes de fin d’année, réputées creuses.

Enfin, l’imagerie du grand magasin s’immisce jusque dans le confort du domicile avec le développement de la vente par correspondance et l’édition de catalogues.

 

Objet de tentation par son flux continu de nouveautés, c’est ce grand magasin générique, nouvel espace public omniscient, que raconte l’écrivain Émile Zola dans ce qui reste une de ses œuvres phare, “Au Bonheur des dames”, paru en 1883.

 

50 ans d’âge d’or

 

Le grand magasin version Boucicaut ne tarde pas à faire des émules à Paris.

 

1856 pose ainsi les fondations des “Grands Magasins Dufayel”, alors “Palais de la Nouveauté”, rue de Clignancourt, dans le quartier de Montmartre. L’établissement change de nom avec son nouveau propriétaire et ancien employé, Georges Dufayel. Pionnier dans l’émission de crédits à la consommation, les Grands Magasins Dufayel préfigurent la vague de démocratisation qui caractérisera le modèle sous les Trente Glorieuses.

 

En 1865, Jules Jaluzot, qui vient d’acquérir trois étages d’un immeuble haussmannien, baptise son commerce “Le Printemps”. Visionnaire, à l’instar du fondateur du Bon Marché, il mise sur le développement du chemin de fer et de la promenade avec ses passages couverts limitrophes pour transformer un emplacement éloigné du cœur de Paris en véritable atout.

 

Tout comme son modèle, Le Printemps innove en créant la période des soldes qui permet d’écouler des produits pourtant passés de mode mais à prix cassé. En 1874, le grand magasin est le premier établissement à se doter d’un pont de fer reliant le bâtiment historique à son nouvel espace adjacent rue de Provence mais aussi de deux ascenseurs.

 

La Samaritaine suit en 1870.

 

Dans le sillage, deux cousins alsaciens, Théophile Bader et Alphonse Khan ouvrent “Les Galeries”, une modeste boutique de 70 m² au 1 rue Lafayette en 1893. En raison de son emplacement et de sa configuration, l’endroit est rebaptisé “Aux Galeries”. Le succès est tel que la totalité de l’immeuble de la rue Lafayette mais aussi ceux du 15 rue Lafayette et des 38, 40 et 42 boulevard Haussmann sont achetés et annexés au bâtiment initial,

 

Les Galeries Lafayette sont alors les premières à installer entre leurs murs des espaces non marchands comme un salon de thé, une salle de lecture et un fumoir.

 

En 1906, le Grand Bazar, rue de Rennes, est inauguré.

 

A son apogée, en 1912, les “Grands Magasins Dufayel” jouissent du titre de plus grande enseigne au monde avec 15 000 employés s’affairant dans un hectare de bâtiment au cœur de Paris. Rattrapé par les turbulences du monde, le grand magasin ne résiste pas au krach boursier de 1929 et ferme définitivement ses portes.

 

A la conquête du monde

 

Phénomène à l’origine purement parisien, le grand magasin de Boucicaut a inspiré aux autres nations leurs propres fleurons nationaux.

 

A Londres, l’homme d’affaires Charles Henry Harrod ouvre son commerce – une simple épicerie – en 1843, avant de le transférer quinze ans plus tard dans le quartier de Knightsbridge avec sa fameuse devise “Omnia, Ubique, Omnibus” (tout, partout, pour tous, ndlr). Attaché à ses racines, le nouveau bâtiment installe son emblématique “food hall” – dédié au commerce de bouche – au rez-de-chaussée. Un univers qui inspirera la Grande Epicerie du Bon Marché ainsi que les Galeries Lafayette Gourmet.

Décidé à proposer voire surpasser le confort des commerces parisiens, Harrods est le premier à se doter d’escaliers mécaniques en 1898. Entièrement ravagé par un incendie, il est rebâti avec sa façade emblématique en terre cuite de 1900.

 

En 1909, Harry Gordon Selfridge, américain originaire du Wisconsin et ayant fait ses armes auprès du grand magasin états-unien Marshall Field, achète pour 400 000 livres un bâtiment de six étages, qui prendra son nom pour devenir Selfridges, soit le deuxième plus grand temple de la consommation londonien derrière Harrods.

 

Prônant “une nouvelle expérience d’achat”, le bâtiment offre une bibliothèque, un restaurant, des toilettes, des salons et des pièces de réception. Mais surtout, Selfridges est le premier à placer les articles de maquillage et parfums au rez-de-chaussée.

 

D’autres pays européens donnent naissance à leurs grands magasins, comme l’italien La Rinascente à Milan (1865), le néerlandais De Bijenkorf (1870), le suisse Globus à Zurich et l’allemand KaDeWe (1907) suivi de l’espagnol El Corte Inglés (1934).

 

A Kyoto, au Japon, Linda Shinschichi ouvre en 1829 son enseigne Takashimaya. Mais c’est grâce à l’alliance fructueuse entre cette commerçante spécialisée dans la vente de kimonos et la société de courtage américaine Smith Baker & Co qu’elle devient en 1932 un grand magasin à part entière. Présente dans l’archipel nippon, l’enseigne est également présente à New York, Taipei, Paris et Singapour.

 

Ce mouvement d’expansion internationale s’est accéléré avec les années 1980. La période est marquée par l’aggravation de la concurrence des hypermarchés et des supermarchés mais aussi par la financiarisation du luxe. Polycrises économiques et inflation des loyers commerciaux poussent les enseignes à revoir leur modèle et progressivement cibler une clientèle étrangère à fort pouvoir d’achat. Signe de ce changement de braquet, les traditionnelles vitrines de noel (nées en 1909 au Bon Marché) délaisse les jouets pour les marques de luxe au tournant des années 2010. En 2012, le Printemps met en vedette Dior, les Galeries Lafayette, Vuitton et le BHV, Alexis Mabille.

 

Pensant le grand magasin avant tout comme “une machine à vendre”, stratégie marketing et rationalisation des espaces deviennent clés, tandis que la plupart des enseignes commencent à s’ouvrir à l’international en particulier sur les marchés asiatiques (japonais en tête) et moyen-orientaux.

 

En 1984, LVMH rachète Le Bon Marché, quatre ans plus tard, l’homme d’affaires égyptien Mohammed Al Fayed s’empare du joyau londonnien Harrods. En 1991, PPR (actuel Kering) met la main sur le groupe Printemps avant de le céder à un homme d’affaires actionnaire de La Rinascente.  En 2013, Le Printemps tombe dans l’escarcelle du fond qatari DISA. Malgrés le climat des fusions-acquisitions, les Galeries Lafayette sont l’une des rares enseignes à conserver leur statut d’entreprise familial.

 

Au début des années 2000, après Dubai et Casablanca, les Galeries Lafayette partent à la conquête du marché qatari et chinois Dans le sillage de Pékin et Shanghai, le groupe français a ouvert une unité à Shenzhen à l’été 2023 et à Macao en février 2024.

 

Distancé par son rival dans le cœur des touristes étrangers, le Printemps reprend sa stratégie d’internationalisation après avoir été contraint de fermer son établissement japonais en 2017. L’enseigne a ainsi ouvert un magasin dans le complexe commercial de Doha L’Oasis fin 2022 avant de mettre le cap sur New York dans le quartier de Wall Street au printemps 2024.

 

Enfin, si la résurrection des Grands Magasins Dufayel n’est pas à l’ordre du jour, sa façade historique – entièrement conservée – s’apprête à démarrer une troisième vie avec Vinci. Prévu pour l’été 2024, le projet WOW promet 11 336 m² de surface de bureaux et de services et surtout 1200 m² de terrasses à tous les étages.

 

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Photo à la Une : Affiche Les Grands Magasins Dufayel 1895-1900 © Musée des Arts Décoratifs


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