[Petite Histoire du luxe] Les Feux d’artifices : fleurs de fumées et étincelles colorées
Must du 14 juillet, le feu d’artifice a fait son apparition en Chine au VIIe avec un rôle bien moins festif qu’aujourd’hui : Éloigner les mauvais esprits.
Rapportés par l’explorateur Marco Polo, ces “feux magiques” ne tardent pas à devenir un symbole de l’autorité royale en Europe, en particulier en Italie. Bien que sa fabrication ait évolué au fil des époques, la recette de la poudre à canon, dite “poudre noire”, reste la même : soufre, salpêtre et charbon de bois. Au départ, cette poudre noire fut développée à des fins médicinales avant qu’elle ne serve d’arme décisive à des campagnes militaires.
Devenue objet de divertissement et de fascination des monarques d’Europe, elle devient ensuite la composante essentielle des feux d’artifice. Cet ultime attribut royal a finalement été conservé à l’issue de la Révolution française pour devenir une composante clé des célébrations populaires. Pour autant, des considérations autant sécuritaires qu’écologiques (empreinte carbone et bien-être animal) amènent à progressivement remplacer les feux d’artifice par des nuées de drones, tant dans l’Hexagone que sur ses terres d’origine.
Retour sur une invention faite de bruits et de lumières.
La Chine découvre la poudre noire
Figurant parmi les quatre grandes découvertes chinoises du monde antique – aux côtés de la boussole, de l’imprimerie et du papier – la poudre noire est une fierté nationale.
Pour preuve, 2000 ans plus tard, Liuyang, dans la province du Hunan, lieu de naissance le plus crédible de la fameuse poudre magique, demeure un haut lieu du commerce international du feu d’artifices. Ce dernier – qui possède aussi son musée national dans la ville – se dit 烟花 yān huā, soit “fleur de fumée”.
Une légende tenace veut que le feu d’artifices ait été découvert par hasard, par les alchimistes taoïstes sous le règne de la dynastie des Tang. L’étymologie du mot “feu d’artifices”, 花 药 en mandarin (huā yào), signifie littéralement “médicament de feu”.
En effet, recherchant un élixir d’immortalité – dans la lignée du premier empereur de Chine Qin Shi Huang et de sa surconsommation de mercure – les alchimistes impériaux réalisent vers l’an 800 avant notre ère, une décoction dans un four à partir de divers minéraux, dont du salpêtre (nitrate de potassium) reconnu comme étant un conservateur alimentaire naturel. Ce dernier est notamment capable de prolonger la vie des aliments, quand il ne sert pas tout simplement d’engrais naturel. Selon une hypothèse, l’empereur Tang Taizong serait mort en buvant le breuvage, tandis que, selon une autre, le four aurait tout simplement explosé.
Une origine – moins mythique celle-là – fait état de Li Tian, un moine vivant dans la ville de Liuyang en Chine. Il aurait créé au IXe siècle les premières bombes d’artifice pour éloigner les mauvais esprits – les kouei ou gui 鬼. A cette fin, il aurait réalisé une mixture avec du carbone sous forme de miel séché, du bitume, du salpêtre et du soufre.
Selon les superstitions locales, ces revenants sans ombre à l’allure répugnante traumatisent les vivants et les mourants, provoquant maladies et catastrophes. Ces créatures ont la capacité de prendre n’importe quelle forme dont celle du démon de l’eau. Il peut alors emprunter les voies respiratoires et s’emparer du corps des vivants. Or, en bourrant des tiges de bambou de la mixture découverte par Li Tian avant de les allumer, cela provoque une explosion très bruyante. Un phénomène dû à la surchauffe des poches d’air creuses du bambou. Les premiers pétards et feux d’artifice de divertissement sont nés.
Quelque soit l’origine de ce combustible nécessaire aux feux d’artifices, les chinois ne tardent pas à découvrir deux règles de physique : la poudre explose au contact du feu et libère du gaz qui se propage rapidement en cas d’exposition à la chaleur.
Les empereurs chinois n’ont de cesse de perfectionner cette invention, en particulier sous la dynastie Song (960 – 1279) pour donner naissance au plus ancien explosif chimique et le seul connu jusqu’au milieu de XIXe, avant la découverte de la nitroglycérine et de la nitrocellulose : la fameuse poudre noire.
On commence alors à allumer des feux d’artifice – qui à l’époque sont des flammes géantes qui n’embrasent pas encore le ciel – dans un contexte de célébration, qu’il s’agisse de mariages ou de la nouvelle année.
Mais la multiplication des attaques aux frontières de la Chine, en particulier par les hordes mongols, précipitent l’invention jusque sur le champ de bataille.
Le feu magique des royaumes en guerre
Les pétards, faits de poudre noire emballés dans du papier, sont nés avec Ma Jun lors de la période dite des Trois Royaumes, opposant les familles Shu, Wei et Wu pour le contrôle de l’Empire du Milieu.
A des fins militaires tactiques autant qu’offensives, les chinois découvrent qu’accrocher ces fameuses fusées à des flèches permettent de les doter de moyen de propulsion et d’attaquer l’ennemi à bonne distance. C’est ainsi que sous la dynastie Ming, apparaît l’une des premières fusées, “le corbeau de feu volant”. De fines lamelles de bambou sont reliées avec du papier de soie avant d’être collées pour prendre la forme d’un corbeau. Explosant à grand bruit et occasionnant des pluies de flammes sur l’ennemi, ces roquettes, fusées et autres pétards ne tardent pas à s’exporter en dehors de l’Empire du Milieu.
A cette époque les chinois ne sont pas les seuls à faire parler la poudre, les mongols finissent par apprendre de leurs rivaux. Ainsi, des récits font état d’un combat opposant l’armée de Ghenghis Khan aux Hongrois, soutenus par les germains, les polonais et les tchécoslovaques. Combat qui fut remporté grâce à l’usage de « rats de feu » et de « chariots dragon », recourant aux explosifs.
Dans le cadre du commerce d’épices, les arabes ne se contentent pas de ramener chez eux ces inventions – que les écrivains locaux appellent “fleurs chinoises” – ils les perfectionnent avec un nitrate plus pur.
Il faut attendre le XIIIe siècle pour que le marchand italien et explorateur Marco Polo ramène cette poudre noire en Europe.
Les européens vont y ajouter un liquide capable d’accroître la granularité autant que la stabilité de la poudre sans produire de fumée. Cela permet d’aboutir à l’ancêtre des canons – soit les bombardes et autres mousquets. La première arme s’avère déterminante lors de la guerre de cent ans dans la victoire de l’armée anglaise à la bataille de Crécy (1346) puis à celle de l’armée française à Castillon (1453). La seconde permet aux conquistadors espagnols et portugais en Amérique Latine et au Japon.
De ce passé militaire, la pyrotechnie – art de mettre en œuvre les explosifs et feux d’artifice – en conservera le vocabulaire avec ses fusées, mortiers et autres bombes.
Sans compter que les fabriques d’artifice et les poudreries militaires ne font souvent qu’un au point d’utiliser à la fin des combats la poudre excédentaire à même le champ de bataille pour fêter la victoire.
Le clou du spectacle à la cour
A la fin du moyen-âge, les feux d’artifice font leur apparition, notamment pour figurer les feux de l’enfer. On bourre alors gargouilles et démons de poudre enflammée pour impressionner les spectateurs. Des feux qui trouvent une place de prédilection dans les fêtes religieuses et les divertissements publics comme les mystères, ces pièces en plusieurs tableaux qui se jouent sur le parvis des églises pour raconter l’histoire sainte aux passants.
Quand sonne l’heure de la Renaissance, les Italiens – surtout les nissarts et florentins – s’intéressent à leur tour à la poudre noire et aux feux d’artifice pour donner naissance à une école italienne de pyrotechnie, alors réputée comme la meilleure au monde. Ces premiers concepteurs n’hésitent pas à tirer les feux d’artifice dans les airs et à mêler à la poudre noire des métaux précieux comme l’or et l’argent pour obtenir les premiers feux colorés, de quoi égayer les carnavals.
Une excellence italienne qui perdure d’ailleurs de nos jours avec les familles Parente, Grucci, Zambelli, Fazzoni, Rozzi ou encore Cartiano et De Sousan. Ces artificiers de renom ont d’ailleurs une compétition nationale à Rome : le Caput Lucis.
L’invention finit par franchir l’autre côté des Alpes, si bien que le roi de France Henri II nomme des “maîtres artificiers” pour agrémenter fêtes et réceptions.
En 1615, un feu d’artifice est tiré depuis la place des Vosges (à l’époque Place Royale) en l’honneur du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche. Cet épisode inaugure de somptueux sons et lumières dans les domaines de Fontainebleau, Vaux le Vicomte et Versailles, ainsi que dans la capitale.
Les têtes couronnées d’Europe ne sont pas en reste. C’est ainsi que le tsar de Russie à l’origine de la construction de la cité lacustre de Saint Pétersbourg, Pierre Le Grand, fait tirer un feu d’artifice géant de 5 heures pour signaler et fêter la naissance de son fils.
Au XVIIIe siècle, la charge d’artificier du roi est instituée en France. Elle revient rapidement aux frères Ruggieri qui serviront sous Louis XV, Louis XVI ainsi que sous l’empereur Napoléon Bonaparte. Convoqués par Louis XV pour célébrer le mariage de son petit-fils Louis XVI avec Marie-Antoinette, ce sont quelques 20 000 fusées et 6000 mortiers qui illuminent le ciel de Versailles en mai 1770.
Les feux sont alors le prétexte à des décors grandioses construits exclusivement pour l’occasion, comme des tours ou des temples. Autant de festivités qui enchantent les sujets du roi et illuminent leurs châteaux pour les grandes occasions.
A cette époque seules deux couleurs sont représentées : le jaune et le blanc.
Bien qu’il soit resté tout ce temps symbole de puissance des familles royales et nobles, la révolution ne met pas pour autant un terme à la pratique du feu d’artifices.
Au contraire, elle est adoptée par les démocraties du monde entier. Aux Etats-Unis, le feu d’artifices permet même aux politiciens d’attirer les foules à leur meetings politiques.
Un instrument de célébration populaire
Le 4 juillet 1777, le feu d’artifice change d’échelle, quitte la sphère privée et sympathise avec le peuple et la démocratie. Une mue que l’on doit en grande partie à John Adams, homme d’Etat américain, qui dans une lettre, l’avant-veille de la toute première fête nationale commémorant la signature de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis (Independance Day) réclame « des parades, des feux de joie et des illuminations de part et d’autres du continent. »
En 1830, les feux d’artifices se colorent définitivement et se rapprochent enfin de leur version moderne.
Ils sont alors enrichis de sels métalliques (ou poudres de métaux) pour générer des teintes inhabituelles comme le bleu obtenu avec le cuivre, le orange avec du calcium, le vert avec le baryum ou encore le rouge avec le strontium.
En 1879, la toute jeune IIIe république cherche une date pour une fête à la fois nationale et républicaine. Commémorant autant la prise de la Bastille – symbole de l’arbitraire royal – et la fête de la fédération, le 14 juillet est choisi par une loi promulguée le 6 juillet 1880. Le feu d’artifice est alors également de la partie.
Ces feux deviennent indissociables des fêtes populaires, notamment lors de l’inauguration de l’exposition universelle de Paris de 1889.
Au XXe siècle, les progrès de la chimie permettent un contrôle toujours plus minutieux du déroulé du feu d’artifices avec des minuteurs lançant un feu à un dixième de seconde.
Le feu d’artifices est depuis un inconditionnel du Nouvel an (occidental et lunaire) et des fêtes nationales (4 juillet aux Etats-Unis, 14 juillet en France, fête des lumières – Diwali – en Inde).
Au-delà d’un aspect patriotique, le feu d’artifices clôturent bien souvent les plus grandes compétitions sportives comme les jeux olympiques ou bien encore le Super Bowl aux Etats-Unis. Il devient alors un symbole d’union et de convivialité, d’autant plus fort qu’il parle à toutes les cultures et à toute la famille.
Ainsi, depuis le passage à l’an 2000, les feux d’artifices sont de plus en plus présents dans le quotidien des individus.
Toutefois, de plus en plus de voix s’élèvent contre l’empreinte carbone de tels dispositifs, sans compter les risques bien réels d’incendies en plein réchauffement climatique.
Les responsables ne sont autres que les fameuses particules métalliques fines à l’origine de leurs couleurs chatoyantes. De même, bien que ne rejetant pas de fumée à proprement parler, les feux sont composés de potassium et d’aluminium (servant de propulseur).
Pour ces raisons, même la Chine, berceau du feu d’artifices, mise depuis ces dernières années sur des spectacles de drones. D’ailleurs, si les italiens demeurent les maîtres incontestés des feux d’artifice, les chinois dominent le marché du drone avec DJI Technology.
En témoignent les 1500 drones qui ont servi à créer cette année un dragon volant dans le ciel de Shenzhen – troisième ville la plus riche de Chine, appréciée par Chanel et les Galeries Lafayette – à l’occasion de « Duanwu », le Festival des bateaux-dragons (22 juin). Entièrement synchronisés, ces drones lumineux rouges, jaunes et bleus permettent à la créature de danser de manière particulièrement fluide.
Avec les drones, le risque d’incendie – comme d’accident malencontreux – peut être ainsi mieux évité. En revanche, cette alternative aux feux d’artifices est à la merci de cyberattaques, faisant peser des risques sur la vie privée et la sûreté de l’Etat.
Autre difficulté, le cout que représente l’organisation d’un spectacle de drones (achat et maintenance) est 2 à 3 fois le coût d’un feu d’artifices avec des engins à 1500 euros pièce. Or, point de spectacle de qualité sans au minimum une centaine d’unités volantes.
Enfin, le marché reste encore peu couvert avec à peine une dizaine d’entreprises en France.
L’histoire nous dira si le drone aura raison du feu d’artifices, mais en attendant, nous n’avons pas fini de nous exclamer de Paris, à Bangkok, de Tokyo à Mumbai, oh la belle bleue, oh la belle rouge !
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Photo à la Une : © Gravure du décor du feu d’artifices royal sur la Tamise, Londres, Angleterre en 1749.
[EN] VICTOR GOSSELIN IS A JOURNALIST SPECIALIZING IN LUXURY, HR, WEB3 AND RETAIL. HE PREVIOUSLY WORKED FOR MEDIA SUCH AS SPARKS IN THE EYES, WELCOME TO THE JUNGLE, LE JOURNAL DU LUXE AND TIME TO DISRUPT. A GRADUATE OF EIML PARIS, VICTOR HAS EXPERIENCED MORE THAN 7 YEARS IN THE LUXURY SECTOR BOTH IN RETAIL AND EDITORIAL. CULTIVATING A GREAT SENSIBILITY FOR THE FASHION & ACCESSORIES SEGMENT, HERITAGE TREASURES AND LONG FORMAT, HE LIKES TO ANALYZE LUXURY BRANDS AND PRODUCTS FROM AN ECONOMIC, SOCIOLOGICAL AND CULTURAL ANGLE TO UNFOLD NEW CONSUMPTION BEHAVIORS. BESIDES HIS JOURNALISTIC ACTIVITY, VICTOR ACCOMPANIES TECH STARTUPS AND LARGE GROUPS IN THEIR CONTENT PRODUCTION AND EDITORIAL STRATEGY. HE NOTABLY LAID THE FOUNDATIONS FOR FASHION & LUXURY TRENDY FEATURE ARTICLES AT HEURITECH AND WROTE THE TECH SPEECHES OF LIVI, INNOVATION INSIDER OF THE LVMH GROUP.************** [FR] Victor Gosselin est journaliste spécialiste des univers luxe, RH, tech et retail, passé par Sparks In The Eyes, Welcome To The Jungle, le Journal du luxe et Time To Disrupt. Diplômé de l’EIML Paris, il dispose de plus de 7 ans d’expérience dans le secteur du luxe aussi bien sur la partie retail que éditoriale. Cultivant une grande sensibilité pour le segment mode & accessoires, l’Asie, les trésors du patrimoine et le long format, il aime analyser les marques et produits de luxe sous l’angle économique, sociologique et culturel pour révéler de nouveaux comportements de consommation. En parallèle de son activité journalistique, Victor accompagne les startups tech et grands groupes dans leur production de contenu et leur stratégie éditoriale. Il a ainsi posé les bases des articles de fond tendanciels Mode & Luxe chez Heuritech ou encore rédigé les prises de parole tech de Livi, Innovation Insider du groupe LVMH.