Les Trois Mousquetaires : un blockbuster français plein de panache
Après près de cinquante ans de relatif silence, le film de cape et d’épée Made in France renaît de ses cendres, grâce à la superproduction des Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon. Les trésors du patrimoine servent ici à merveille l’épopée littéraire d’Alexandre Dumas Père. De quoi renforcer l’attractivité des lieux de tournage comme le Château de Fontainebleau et la ville de Troyes.
La renaissance du film de cape et d’épée
Après les adaptations américaines, modernes mais scénaristiquement douteuses D’Artagnan de Peter Hyams (2001) et les Trois Mousquetaires de Paul W.S Anderson (2011) ou encore la série britannique The Musketeers de la BBC (2014), le cinéma français méritait d’avoir de nouveau voix au chapitre sur ce chef d’oeuvre de la littérature nationale.
Plus globalement, il était temps que l’Hexagone reprenne possession d’un genre cinématographique à valeur patrimoniale : le film de cape et d’épée. Une déclinaison du film d’aventure qui a fait les très riches heures du cinéma français, en particulier dans les années 1950-1960, avec les productions d’André Hunebelle et de Bernard Borderie. Le film de cape et d’épée, remis au goût du jour par Hollywood, a, depuis, tutoyé les sommets, qu’il s’agisse de la saga Star Wars et ses combats au sabre laser ou encore de celle de Pirate des Caraibes. Cette dernière saga – en cinq films – intégrant des éléments fantastiques a certes coûté 1,145 milliard de dollars à produire. Mais elle a aussi rapporté 4,51 milliards de dollars de recettes au box office mondial, en faisant l’une des franchises cinématographiques les plus lucratives de tous les temps.
Dans sa version initiale, le film de cape et d’épée met en valeur des costumes d’époque, des duels au fleuret, un esprit chevaleresque avec un je-ne-sais-quoi d’impertinence comique, le tout dans des décors réels et surtout historiques.
Les Trois Mousquetaires figure parmi les films les plus emblématiques du genre. Paru en 1844 dans la revue Le Siècle, sous forme de feuilleton, le roman original présente un sens du rythme qui n’a rien à envier à nos séries contemporaines. Que ce soit dans la manière dont l’auteur dépeint ses personnages ou utilise habilement flashbacks et retournements de situation : tout est fait pour maintenir le lecteur en haleine. Fort d’une popularité exceptionnelle, l’histoire de ces compagnons croisant le fer pour faire échouer un complot susceptible de renverser la Couronne et de précipiter le royaume dans la guerre, a été adaptée une trentaine de fois au cinéma depuis 1909.
Mais aucune version, de l’aveu de cinéphiles, n’est jusqu’ici parvenue à détrôner le film de George Sidney (1948) avec Gene Kelly dans le rôle de D’Artagnan et Lana Turner dans celui de Milady. Or, devant tant de succès, difficile de renouveler le propos à travers une 36ème adaptation, sans dénaturer la rythmique du texte originel.
Pour son adaptation, en deux volets, le réalisateur Martin Bourboulon a choisi de proposer du grand spectacle et de moderniser les codes du film de cape et d’épée à travers des éléments visuels issus du western et du film noir.
L’un des succès du roman tient à ses personnages hauts en couleur et pleins de panache, en particulier son héros gascon, jadis filmé en fanfaron charmeur, à l’audace et au courage sans pareil. L’interprétation campée par François Civil montre au contraire un D’Artagnan plus volontaire et sensible que rieur et hâbleur. A ces côtés, on trouve un casting de haute volée avec Vincent Cassel (Athos), Pio Marmai (Porthos), Romain Duris (Aramis), Louis Garrel (Louis XIII), Eva Green (Milady de Winter), Vicky Krieps (la Reine Anne D’Autriche), Lyna Khoudri (Constance Bonacieux) ou encore Eric Ruf (le Cardinal de Richelieu).
C’est d’ailleurs, le couple royal formé par Louis Garrel et l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps qui se détache nettement, par un jeu empreint de subtile retenue et de sensibilité à fleur de peau.
L’autre mention spéciale revient à Eva Green, qui prête ses traits à Milady de Winter, l’espionne aux allures de femme fatale, à la solde du cardinal. Moins frivole que d’ordinaire, elle apparait ici en femme puissante, bien loin de la figure de simple méchante du récit.
Avec un budget record de 72 millions d’euros pour les deux volets, cette nouvelle adaptation s’inscrit dans une stratégie de résistance face aux plateformes de SVOD (Netflix, Amazon Prime…) consolidée par une alliance entre Pathé et Logistical Pictures. L’objectif étant de se défaire des contraintes de financement du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC) et de s’ouvrir aux investisseurs privés, de manière à pouvoir produire davantage de films français à l’envergure internationale.
Et cela commence par revisiter sans fard l’histoire du pays, à l’inverse de ce qu’ont fait les américains.
L’autre face du Grand Siècle
Historiquement, il est coutume de rattacher l’éclosion du luxe français au règne de Louis XIV et à une période présentée – non sans grandiloquence – comme le Grand Siècle.
Or, contrairement à une idée répandue, cette période s’étend bien au-delà du seul règne du Roi Soleil, partant du règne de son prédécesseur, Louis XIII, jusqu’à la fin de la régence (1610-1723). Une période considérée, toujours par les historiens, comme l’une des plus chaotiques et insalubres de l’histoire de France.
Dans son adaptation modernisée des Trois Mousquetaires, le réalisateur Martin Bourboulon, n’oublie pas de dépeindre l’époque avec davantage de réalisme et moins de kitsch. Afin de corriger jusqu’aux anachronismes de l’auteur originel, le réalisateur s’est également appuyé sur les correspondances secrètes entre Louis XIII et le cardinal de Richelieu.
Le film s’ouvre ainsi en 1627, l’année où débute le siège de La Rochelle et l’élévation de ces fameuses digues en bois réparties sur 1 km et demi. Cette victoire du cardinal deux ans plus tard sur une place forte protestante – réputée imprenable – renforcera le pouvoir royal et préparera le terrain pour la monarchie absolue de Louis XIV.
Le Grand Siècle est également marqué par les guerres de religions entre catholiques et protestants, où la moindre ruelle ou coursive de palais pouvait être fatale. Une ambiance oppressante que restitue parfaitement Alexandre Dumas dans son autre chef-d’œuvre littéraire – lui-même déjà adapté au cinéma par Patrice Chéreau – La Reine Margot (1994).
Pour rendre compte de cette lutte de tous les instants que mènent les personnages dans les bas-fonds de Paris et sa périphérie, les scènes de combat ont été tournées en plan séquence, caméra à l’épaule, offrant une vue subjective à la manière d’un jeu vidéo. Au point que le spectateur est tout aussi déboussolé par les événements que le sont les héros eux-mêmes.
Ajoutez à cela, un ministre cardinal omnipotent, de plus en plus en mesure de concurrencer le pouvoir royal, et la menace d’une invasion anglaise par la mer et vous obtenez un Royaume de France au bord de l’implosion.
Signe du chaos qui règne, jusqu’au plus haut sommet de l’État, l’aspect patiné de la photographie contraste avec les teintes chatoyantes des précédentes adaptations. La saleté s’immisce sur les visages et les étoffes tandis que les coups de mousquet se font plus insistants. Pour autant, de magnifiques monuments émergent, d’autant plus beaux qu’il s’agit des lieux décrits dans le roman.
Le patrimoine en majesté
Un personnage sans visage a toujours habité le film de cape et d’épée : son patrimoine architectural exceptionnel.
Véritable parti pris du réalisateur Martin Bourboulon, le film a été intégralement tourné en France, mettant en lumière une quarantaine de monuments, qu’il s’agisse de châteaux, manoirs et abbayes, et en particulier la cité corsaire de Saint-Malo, chargée d’incarner la ville assiégée de La Rochelle, délaissée pour “pollution visuelle” liée à sa modernité. Ainsi, vingt scènes sur les quatre-vingt que compte la saga s’y déroulent.
Le premier volet de cette saga laisse la part belle aux régions de l’Île-de-France, de la Seine-et-Marne et de la Bourgogne. Ainsi, le Paris du XVIIe siècle reprend vie à travers des lieux emblématiques de la capitale (la cour carrée du Palais du Louvre, l’Hôtel des Invalides) ainsi que dans les rues pavées de Troyes (Aube) et ses maisons à pans de bois colorés. Parmi les lieux d’intérêt de la cité troyenne présents à l’écran, citons la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière, un véritable écrin du XVIe siècle.
A quelques encablures de Troyes se dresse le château de la Cordelière, à Chaource, avec sa façade néogothique. Le lieu est le théâtre de la première confrontation entre D’Artagnan et Milady.
Le Palais royal, quant à lui, est complété par des scènes tournées au Château de Fontainebleau et à la Mairie de Levallois.
Le château de Fontainebleau, édifié au XVIe siècle, résidence historique du roi Louis XIII, a ainsi accueilli pour la quatrième fois le tournage d’une adaptation des Trois Mousquetaires. La salle de bal, avec son riche plafond à caissons couvert d’emblèmes lunaires et de la devise royale, a ainsi été métamorphosée dans le film en salle du trône (voir photo en Une).
A côté de cela, le cadre paisible de l’Abbaye cistercienne de Royaumont devient le théâtre de la romance interdite entre la reine de France et le duc de Buckingham, tandis que la cathédrale Saint-Etienne de Meaux accueille le mariage de Monsieur, frère du roi, Gaston d’Orléans.
Prévu pour le 13 décembre prochain, le second volet intitulé Les Trois Mousquetaires : Milady se déroulera, quant à lui, entre la Normandie, la Bretagne et la région Centre. Hormis Saint Malo, le film montrera d’autres lieux d’exception tels que le château de la Fontaine Henry (Calvados) comme résidence du mousquetaire Athos ou encore le château de Farcheville, une authentique forteresse médiévale (Essonne).
Le réalisateur Martin Bourboulon a prévenu que, si le film est un franc succès, un troisième volet, intitulé L’Homme au masque de fer pourrait bien voir le jour. En attendant, la nouvelle adaptation cinématographique de ce chef-d’œuvre de la littérature, prévendu auprès de soixante-dix pays, a attiré 750 000 spectateurs en France en quatre jours.
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Photo à la Une : Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon © 2023 – Chapter 2 – PATHE FILMS – M6 FILMS
[EN] VICTOR GOSSELIN IS A JOURNALIST SPECIALIZING IN LUXURY, HR, WEB3 AND RETAIL. HE PREVIOUSLY WORKED FOR MEDIA SUCH AS SPARKS IN THE EYES, WELCOME TO THE JUNGLE, LE JOURNAL DU LUXE AND TIME TO DISRUPT. A GRADUATE OF EIML PARIS, VICTOR HAS EXPERIENCED MORE THAN 7 YEARS IN THE LUXURY SECTOR BOTH IN RETAIL AND EDITORIAL. CULTIVATING A GREAT SENSIBILITY FOR THE FASHION & ACCESSORIES SEGMENT, HERITAGE TREASURES AND LONG FORMAT, HE LIKES TO ANALYZE LUXURY BRANDS AND PRODUCTS FROM AN ECONOMIC, SOCIOLOGICAL AND CULTURAL ANGLE TO UNFOLD NEW CONSUMPTION BEHAVIORS. BESIDES HIS JOURNALISTIC ACTIVITY, VICTOR ACCOMPANIES TECH STARTUPS AND LARGE GROUPS IN THEIR CONTENT PRODUCTION AND EDITORIAL STRATEGY. HE NOTABLY LAID THE FOUNDATIONS FOR FASHION & LUXURY TRENDY FEATURE ARTICLES AT HEURITECH AND WROTE THE TECH SPEECHES OF LIVI, INNOVATION INSIDER OF THE LVMH GROUP.************** [FR] Victor Gosselin est journaliste spécialiste des univers luxe, RH, tech et retail, passé par Sparks In The Eyes, Welcome To The Jungle, le Journal du luxe et Time To Disrupt. Diplômé de l’EIML Paris, il dispose de plus de 7 ans d’expérience dans le secteur du luxe aussi bien sur la partie retail que éditoriale. Cultivant une grande sensibilité pour le segment mode & accessoires, l’Asie, les trésors du patrimoine et le long format, il aime analyser les marques et produits de luxe sous l’angle économique, sociologique et culturel pour révéler de nouveaux comportements de consommation. En parallèle de son activité journalistique, Victor accompagne les startups tech et grands groupes dans leur production de contenu et leur stratégie éditoriale. Il a ainsi posé les bases des articles de fond tendanciels Mode & Luxe chez Heuritech ou encore rédigé les prises de parole tech de Livi, Innovation Insider du groupe LVMH.